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compte que le jour où ils détiendraient le gouvernement, ils auraient besoin d’une armée ; ils feraient de la politique étrangère et, par suite, auraient, eux aussi, à vanter le dévouement à la patrie.

Les socialistes parlementaires sentent bien que l’antipatriotisme tient fort aux cœurs des ouvriers socialistes et ils font de grands efforts pour concilier ce qui est inconciliable ; ils ne voudraient pas trop heurter des idées qui sont devenues chères au prolétariat, mais ils ne peuvent pas abandonner leur cher État qui leur promet tant de jouissances. Ils se sont livrés aux acrobaties oratoires les plus cocasses pour se tirer d’affaire. Par exemple, après l’arrêt de la Cour d’assises de la Seine condamnant Hervé et les antimilitaristes, le Conseil national du parti socialiste vota un ordre du jour flétrissant le « verdict de haine et de peur », déclarant qu’une justice de classe ne saurait respecter « la liberté d’opinion », protestant contre l’emploi des troupes dans les grèves et affirmant « hautement la nécessité de l’action et de l’entente internationale des travailleurs pour la suppression de la guerre. » (Socialiste, 20 janvier 1906). Tout cela est fort habile, mais la question fondamentale est esquivée.


Ainsi on ne pourrait plus contester qu’il n’y ait une opposition absolue entre le syndicalisme révolutionnaire et l’État ; cette opposition prend en France la forme particulièrement âpre de l’antipatriotisme, parce que les hommes politiques ont mis en œuvre toute leur science pour arriver à jeter la confusion dans les esprits sur l’essence du socialisme. Sur le terrain du patriotisme, il ne peut y avoir de compromissions et de position