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ces raisons-là sont celles qui ont conduit beaucoup de bourgeois à applaudir les déclamations contre l’armée au temps de l’affaire Dreyfus, mais ce ne sont pas les raisons des syndicalistes.

L’armée est la manifestation la plus claire, la plus tangible et la plus solidement rattachée aux origines que l’on puisse avoir de l’État. Les syndicalistes ne se proposent pas de réformer l’État comme se le proposaient les hommes du xviiie siècle ; ils voudraient le détruire[1] parce qu’ils veulent réaliser cette pensée de Marx : que la révolution socialiste ne doit pas aboutir à remplacer une minorité gouvernante par une autre minorité[2]. Les syndicalistes marquent, encore plus fortement, leur doctrine quand ils lui donnent un aspect plus idéologique et se déclarent antipatriotes — à la suite du Manifeste communiste.

Sur ce terrain il est impossible qu’il y ait la moindre entente entre les syndicalistes et les socialistes officiels ; ceux-ci parlent bien de tout briser, mais ils attaquent plutôt les hommes au pouvoir que le pouvoir lui-même ; ils espèrent posséder la force de l’État et ils se rendent

    de faire une part trop grande aux élèves des écoles militaires ; la vieille noblesse et le parti catholique avaient pu ainsi s’emparer du commandement. (Loc. cit., pp. 555-556.)

  1. « La société qui organisera la production sur les bases d’une association de producteurs libres et égalitaires, transportera toute la machine de l’État là où est dès lors sa place : dans le musée des antiquités, à côté du rouet et de la hache de pierre. » (Engels, Les Origines de la société, trad. franç., p. 280.)
  2. Manifeste communiste, trad. Andler, tome I, p. 39.