Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cruelle expérience, que l’État avait encore des pontifes et de fervents adorateurs parmi les dreyfusards.

L’affaire Dreyfus était à peine terminée que le gouvernement de défense républicaine commençait une autre affaire politique au nom de la raison d’État et accumulait presque autant de mensonges que l’État-major en avait accumulés dans le procès de Dreyfus. Aucune personne sérieuse ne doute, en effet, aujourd’hui, que le grand complot pour lequel Déroulède, Buffet et Lur-Saluces furent condamnés, était une invention de la police : le siège de ce qu’on a appelé le fort Chabrol avait été arrangé pour faire croire aux Parisiens qu’ils avaient été à la veille d’une guerre civile. On a amnistié les victimes de ce forfait juridique, mais l’amnistie ne devrait pas suffire ; si les dreyfusards avaient été sincères, ils auraient réclamé que le Sénat reconnût la scandaleuse erreur que les mensonges de la police lui ont fait commettre : je crois qu’ils ont trouvé, tout au contraire, très conforme aux principes de la justice éternelle, de maintenir, le plus longtemps possible, une condamnation fondée sur la fraude la plus évidente.

Jaurès et beaucoup d’autres éminents dreyfusards approuvèrent le général André et Combes d’avoir organisé un système régulier de délation. Kautsky lui a vivement reproché sa conduite ; l’écrivain allemand demandait que le socialisme ne présentât point comme de grandes actions démocratiques « les misérables procédés de la république bourgeoise » et qu’il demeurât « fidèle au principe qui déclare que le dénonciateur est la dernière des canailles » (Débats, 13 novembre 1904). Ce qu’il y eut de plus triste dans cette affaire, c’est que