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quaient ses inquisiteurs[1]. La royauté n’avait plus eu autant de scrupules, surtout quand elle eut acquis sa pleine maturité ; mais la Révolution étalait au grand jour le scandale de son culte superstitieux de l’État.


Une raison d’ordre économique donnait alors à l’État une force que n’avait jamais eue l’Église. Au début des temps modernes, les gouvernements, par leurs expéditions maritimes et les encouragements donnés à l’industrie, avaient occupé une très grande place dans la production ; mais au xviiie siècle cette place était devenue exceptionnellement énorme dans l’esprit des théoriciens. Tout le monde avait alors la tête pleine de grands projets ; on concevait les royaumes sur le plan de vastes compagnies qui entreprennent de mettre le sol en valeur et on s’attachait à assurer le bon ordre dans le fonctionnement de ces compagnies. Aussi l’État était-il le dieu des réformateurs : « Ils veulent, écrit Tocqueville, emprunter la main du pouvoir central et l’employer à tout briser et à tout refaire suivant un nouveau plan qu’ils ont conçu eux-mêmes ; lui seul leur paraît en état d’accomplir une telle tâche. La puissance de l’État doit être sans limites, comme son droit, disent-ils ; il ne s’agit que de lui persuader d’en faire un usage convenable[2]. » Les physiocrates paraissaient disposés à sacrifier les individus

  1. Des auteurs modernes, prenant à la lettre certaines instructions de la papauté, ont pu soutenir que l’Inquisition avait été relativement indulgente, eu égard aux mœurs du temps.
  2. Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, p. 127.