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peine parce qu’ils désirent plaire à un public pressé, souvent fort distrait et parfois désireux avant tout de s’éviter toute recherche personnelle. Ces règles ont d’abord été appliquées par les fabricants de livres scolaires. Depuis qu’on a voulu faire absorber aux élèves une somme énorme de connaissances, il a fallu mettre entre leurs mains des manuels appropriés à cette instruction extra-rapide ; tout a dû être exposé sous une forme si claire, si bien enchaînée et si propre à écarter le doute, que le débutant en arrive à croire que la science est chose beaucoup plus simple que ne pensaient nos pères. L’esprit se trouve meublé très richement en peu de temps, mais il n’est point pourvu d’un outillage propre à faciliter le travail personnel. Ces procédés ont été imités par les vulgarisateurs et les publicistes politiques[1]. Les voyant si largement appliquées, les gens qui réfléchissent peu ont fini par supposer que ces règles de l’art étaient fondées sur la nature même des choses.

Je ne suis ni professeur, ni vulgarisateur, ni aspirant chef de parti ; je suis un autodidacte qui présente à quelques personnes les cahiers qui ont servi pour sa propre instruction. C’est pourquoi les règles de l’art ne m’ont jamais beaucoup intéressé. Pendant vingt ans j’ai travaillé à me délivrer de ce que j’avais retenu de mon éducation ; j’ai promené ma curiosité à travers les livres, moins pour apprendre que pour nettoyer ma mémoire des idées qu’on lui avait

  1. Je rappellerai ici cette sentence de Renan : « La lecture, pour être salutaire, doit être un exercice impliquant quelque travail. » (Feuilles détachées, p. 231.)