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que de satisfactions d’amour-propre ! Nous autres qui n’avons aucune perspective pareille devant les yeux, nous devons demander à l’histoire si elle ne pourrait pas nous fournir quelques enseignements sur ce sujet et nous permettre de soupçonner ce que produit une révolution qui se réalise en temps de décadence.

Les recherches de Tocqueville nous permettent d’étudier à ce point de vue la révolution française. Il étonna beaucoup ses contemporains quand, il y a un demi-siècle, il leur montra que la révolution avait été beaucoup plus conservatrice qu’on ne le disait jusque-là. Il fit voir que les institutions les plus caractéristiques de la France moderne datent de l’ancien régime (centralisation, réglementation à outrance, tutelle administrative des communes, interdiction pour les tribunaux de juger les fonctionnaires) ; il ne trouvait qu’une seule innovation importante : la coexistence, qui fut établie en l’an VIII, de fonctionnaires isolés et de conseils délibérants. Les principes de l’ancien régime reparurent en 1800 et les anciennes habitudes reprirent faveur[1]. Turgot lui semblait être un excellent type de l’administrateur napoléonien, qui avait « l’idéal du fonctionnaire dans une société démocratique soumise à un gouvernement absolu »[2]. Il estimait que le morcellement du sol, dont il est d’usage de faire honneur à la révolution,

  1. Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, livre II, chapitres ii, iii, iv, pp. 115-117, p. 121 et p. 320.
  2. Tocqueville, Mélanges, pp. 155-156.