Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comble de joie nos socialistes parlementaires. Leur rôle serait nul s’ils avaient devant eux une bourgeoisie qui serait lancée, avec énergie, dans les voies du progrès capitaliste, qui regarderait comme une honte la timidité et qui se flatterait de penser à ses intérêts de classe. Leur puissance est énorme en présence d’une bourgeoisie devenue à peu près aussi bête que la noblesse du xviiie siècle. Si l’abrutissement de la haute bourgeoisie continue à progresser d’une manière régulière, à l’allure qu’il a prise depuis quelques années, nos socialistes officiels peuvent raisonnablement espérer atteindre le but de leurs rêves et coucher dans des hôtels somptueux.

Deux accidents sont seuls capables, semble-t-il, d’arrêter ce mouvement : une grande guerre étrangère qui pourrait retremper les énergies et qui, en tout cas, amènerait, sans doute, au pouvoir des hommes ayant la volonté de gouverner[1]; ou une grande extension de la violence prolétarienne qui ferait voir aux bourgeois la réalité révolutionnaire et les dégoûterait des platitudes humanitaires avec lesquelles Jaurès les endort. C’est en vue de ces deux grands dangers que celui-ci déploie toutes ses ressources d’orateur populaire : il faut maintenir la paix européenne à tout prix ; il faut mettre une limite aux violences prolétariennes.

Jaurès est persuadé que la France serait parfaitement heureuse le jour où les rédacteurs de son journal et ses commanditaires pourraient puiser librement dans la

  1. Cf. G. Sorel, Insegnamenti sociali. p. 388. L’hypothèse d’une grande guerre européenne semble peu vraisemblable à l’heure présente.