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avec les principes et qu’elle ait pour elle quelques autorités respectables ; c’est un « probabiliste » dans toute la force du terme, — ou même un « laxiste ». Vaillant recommande la méthode forte et batailleuse qui, à son avis, s’accorde seule avec la lutte de classe et qui a pour elle l’opinion unanime de tous les anciens maîtres ; c’est un « tutioriste » et une sorte de janséniste.

Jaurès croit, sans doute, agir pour le plus grand bien du socialisme, comme les casuistes relâchés croyaient être les meilleurs et les plus utiles défenseurs de l’église ; ils empêchaient, en effet, les chrétiens faibles de tomber dans l’irreligion et les amenaient à pratiquer les sacrements, — exactement comme Jaurès empêche les riches intellectuels, venus au socialisme par le dreyfusisme, de reculer d’horreur devant la lutte de classe et les amène à commanditer les journaux du parti. À ses yeux, Vaillant est un rêveur, qui ne voit pas la réalité du monde, qui se grise avec les chimères d’une insurrection devenue impossible et qui ne comprend point les beaux avantages que peut tirer du suffrage universel un politicien roublard.

Entre ces deux méthodes, il n’y a qu’une différence de degré et non une différence de nature, comme le croient ceux des socialistes parlementaires qui s’intitulent révolutionnaires. Jaurès a, sur ce point, une grande supériorité intellectuelle sur ses adversaires, car il n’a jamais mis en doute l’identité fondamentale des deux méthodes.

Les deux méthodes supposent, toutes les deux, une société bourgeoise entièrement disloquée, des classes riches ayant perdu tout sentiment de leur intérêt de classe, des hommes disposés à suivre en aveugles les