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dération, de travail, de sagesse, de tranquillité, d’ordre et de règle ». Les portions de terre se partagent également entre eux : des propriétés trop étendues ou un négoce trop développé produiraient l'accroissement des richesses particulières et, par suite, ruineraient l'égalité. La hiérarchie est strictement maintenue entre les classes. « Ce ne fut que dans la corruption de quelques démocraties que les artisans parvinrent à être citoyens. »

Le peuple en corps, c’est-à-dire l’assemblée des citoyens, fait les lois et exerce la souveraine puissance. « Ses suffrages sont ses volontés. » Il choisit ses magistrats parmi les hommes dont il connaît l’esprit et dont il contrôle continuellement la gestion. Il pratique la véritable égalité, qui consiste « à obéir et à commander à ses égaux ». Il jouit de cette sorte de liberté que Bossuet avait admirablement définie, avant Montesquieu, un État « où personne n’est sujet que de la loi et où la loi est plus puissante que les hommes ». État très singulier, auquel ne sauraient s’appliquer les notions que nous avons, dans nos temps modernes, de la liberté. Notre liberté est avant tout civile et individuelle ; celle des anciens est exclusivement civique et toute d’État. La liberté de conscience est pour nous la première et la plus essentielle des libertés ; les anciens ne la concevaient même point. La liberté, pour eux, consistait uniquement dans l’exercice de la souveraineté. L’individu n’avait d’autre droit que son suffrage, et son suffrage épuisait tout son droit ; il demeurait ensuite,