Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est le fondement de son ouvrage, ce n’en est point l'édifice. Il a construit solidement ses soubassements et poussé ses pilotis aussi profondément qu’il l'a dû pour trouver la terre ferme et le sol certain, mais il les dérobe aux yeux. Il a étudié et peint la monarchie ou la république, comme Molière, l'Avare, le Misanthrope ou le Tartuffe ; comme La Bruyère, les Grands, les Politiques, les Esprits forts. C’est lui faire honneur, comme aux classiques ses maîtres, de montrer comment l’histoire soutient sa galerie et comment on pourrait mettre des noms et des dates sous chacun de ses tableaux ; mais on fausserait sa pensée en la particularisant davantage.

On la dénaturerait en la prenant pour abstraite. Montesquieu s’efforce de former des idées générales au moyen des faits qu’il a observés ; il ne prétend point concevoir, par voie de spéculation pure, des idées absolues et universelles. Il tâche de dégager un type commun des monarchies ou des républiques qu’il connaît ; il ne déduit point d’un idéal a priori, la monarchie en soi ni la république rationnelle. Il s’ensuit que les principes qu’il pose et les lois qu’il en fait découler, ne prennent tout leur sens et toute leur portée que dans le rapport qu’ils ont avec la réalité.