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en place, y mit une sorte de timidité gauche où l’on sentait la formule de convention, le carton et la surcharge. Personne ne s’y pouvait tromper et nul ne s’y trompa. Il plaçait, affirmait-il, la « vraie religion » à part de toutes les autres ; mais il ne l’y plaçait que dans une parenthèse, et, dans tout le corps du livre, il en parlait comme des autres, c’est-à-dire d’un ton tout laïque et tout civil de législateur. Il admettait qu’il y avait des religions plus ou moins bonnes, et que la plus parfaite, la « religion révélée »… « celle qui a sa racine dans le ciel », produisait, elle-même, des effets plus ou moins heureux, suivant les pays où on la propageait et les hommes qui la pratiquaient, « Quand Montezuma s’obstinait tant à dire que la religion des Espagnols était bonne pour leur pays, et celle du Mexique pour le sien, il ne disait pas une absurdité. » Mais il proférait une hérésie, et, s’il n’était pas tenu de le savoir, Montesquieu ne l’ignorait point.

Il espérait cependant que la censure se contenterait, sur l’article de la foi, de ces réserves verbales. Il estimait que, sur l’article de la politique, elle se montrerait plus exigeante. Il supprima, comme trop évidemment suspect, un chapitre sur les lettres de cachet. Il enveloppa de voiles savamment disposés les observations qui pouvaient passer pour séditieuses, et les comparaisons qui risquaient de froisser le patriotisme des sots. C’est peut-être une des raisons qui l’amenèrent à décrire, sous une forme toute générale, toute cosmopolite pour ainsi dire, sans