Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fort étendue, si étendue qu’elle se dérobe à l’analyse et s’échappe vers l’infini. C’est une formule d’algèbre, qui s’applique à toutes les réalités et n’en exprime précisément aucune. Elle est rigoureusement vraie des lois des mathématiques et des lois de la nature physique ; elle ne s’adapte qu’à une grande distance, et assez indistinctement, aux lois politiques et aux lois civiles : il faut, pour la suivre jusque-là, passer par toutes les transformations et dégradations du sens même du mot loi. Montesquieu ne s’arrête point à cette difficulté. Il pose sa formule, franchit toutes les idées intermédiaires, et arrive à la législation proprement dite, qui est son objet.

Là, les faits sont ses maîtres ; mais les faits l’accablent et l’étouffent. On le voit, peinant au travail, s’égarant, revenant, harassé, à son chemin, reprenant haleine, repartant et s’égarant encore. « J’ai bien des fois commencé et bien des fois abandonné cet ouvrage ; j’ai mille fois envoyé aux vents les feuilles que j’avais écrites… je ne trouvais la vérité que pour la perdre… » Enfin l’étoile polaire lui apparut. Il trouva sa voie, et n’eut plus qu’à marcher vers la lumière.

C’est vers 1729 qu’il convient de placer cette époque décisive de la carrière de Montesquieu. Il découvrit alors ce qu’il a appelé « la majesté de son sujet », et il estima que désormais, s’il savait se soutenir à cette hauteur, il en verrait, selon son expression, « couler les lois comme de leur source ». « Quand j’ai découvert mes principes, tout ce que je