Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces desseins mêmes, la doctrine qui doit servir de fondement à la monarchie chrétienne et de leçon au Roi Très-Chrétien. Montesquieu, qui a fait voir comment une grande institution sociale s’organise, grandit, prospère, décroît et se ruine, veut à son tour en tirer la leçon pour toutes les législations humaines. Il rêve un livre de science pure et de principes, qui sera aux Considérations sur les Romains ce que la Politique tirée de l’Ecriture sainte est au Discours sur l’histoire universelle. Entreprise la plus noble qu’un législateur pût former, mais la plus audacieuse aussi et la plus difficile. Montesquieu, lorsqu’il l’eut exécutée, a pu donner avec fierté cette épigraphe à son ouvrage : Prolem sine matre creatam.

Ce n’est pas la matière qui manque : elle est immense, et elle échappe aux prises par cette immensité même ; c’est l’instrument de travail, le crible et la balance pour rassembler, trier, peser les éléments. Montesquieu ne s’arrête point longtemps à examiner ces éléments en eux-mêmes et en scruter l’origine. « Il ne parle point des causes, et il ne compare point les causes, dira-t-il plus tard en parlant de lui-même ; mais il parle des effets, et il compare les effets. » Le fondement religieux, donné par Domat à son Traité des lois, dérobe à Montesquieu la profondeur et la fermeté de la doctrine de l’auteur. Domat ramène ses observations à sa foi ; il suffirait de transposer quelques termes pour que ce livre, tout humain dans la réalité, se dépouillât de son voile théologique. Rebelle au mysticisme de Domat,