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n'entendait rien aux causes finales. Il fait, comme Bossuet, la part très large à la liberté des hommes, à leur choix et à l'action des individus dans l’exécution des affaires ; il reconnaît, comme Bossuet, que les choses vont dans la politique « comme au jeu où le plus habile l’emporte à la longue » ; mais il estime que le jeu a des règles, une table où il se fait, des parties où il s’engage ; l’habileté même a des conditions où elle s’exerce, et rien de tout cela n’est l’effet du hasard. L’enchevêtrement des causes et des effets forme la trame, l’attraction réciproque des idées et des hommes, la gravitation universelle des événements règle le cours de l’histoire. « Ce n’est pas, dit Montesquieu, la fortune qui domine le monde : on peut le demander aux Romains, qui eurent une suite continuelle de prospérités quand ils se gouvernèrent sur un certain plan, et une suite non interrompue de revers lorsqu’ils se conduisirent sur un autre. Il y a des causes générales, soit morales, soit physiques, qui agissent dans chaque monarchie, l'élèvent, la maintiennent, ou la précipitent ; tous les accidents sont soumis à ces causes ; et si le hasard d’une bataille, c’est-à-dire une cause particulière, a ruiné un État, il y avait une cause générale qui faisait que cet État devait périr par une seule bataille : en un mot, l’allure principale entraîne avec elle tous les accidents particuliers. »

C’est par cette vue toute scientifique que Montesquieu compte parmi les grands maîtres de l’histoire moderne. La perfection de son style a fait de lui un