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que quelques réfugiés français qui, jusque-là, eussent paru soupçonner ce nouveau monde politique. Rapin de Thoyras en avait publié, en 1717 et en 1724, une très ingénieuse description. Montesquieu la connaissait, et il en fit si bon usage qu’il la fit oublier à la postérité. Il vit tout et le vit bien, d’une vue de savant, pénétrante pour le détail du phénomène, étendue pour la recherche des causes et la poursuite des conséquences. Ses notes, prises sur le vif, sont des chefs-d’œuvre d’exactitude, de concision et de relief : de la Rochefoucauld politique.

On prête à Montesquieu cette phrase, qui résume ses pérégrinations : « L’Allemagne est faite pour y voyager, l’Italie pour y séjourner, l’Angleterre pour y penser, la France pour y vivre. » Il revint à La Brède après plus de trois ans d’absence, retrouva sa famille, s’occupa de ses affaires, cultiva ses vignes, fit dresser sa généalogie et transforma son parc en jardin anglais. Sa principale occupation fut désormais la composition du livre qu’il portait dans sa tête et qu’il avait promené en Europe. Il ne pouvait le mener à fin que dans le silence et les loisirs de la province. Il voulait écrire une histoire de l’humanité sociale : l’histoire de l’homme dans la politique et dans les lois. Il en avait esquissé maint fragment : un Essai sur les finances de l’Espagne, des Réflexions sur la monarchie universelle en Europe, une Histoire de Louis XI. D’après ce qui a subsisté de ce dernier ouvrage, on en peut dire ce que Montesquieu disait de Michel-Ange : « On trouve