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avec une belle phrase sur la paix et sur le sang humain, « ce sang qui souille toujours la terre ». Montesquieu célébra, par bienséance et pour se conformer à l'usage, Richelieu, qu’il détestait, et Louis XIV, qu’il avait déchiré. Mallet, qui le reçut, l'invita à justifier son élection en rendant, au plus tôt, « ses ouvrages publics ». Il ajouta, non sans malice : « Vous serez prévenu par le public si vous ne le prévenez. Le génie qu’il remarque en vous le déterminera à vous attribuer les ouvrages anonymes où il trouvera de l’imagination, de la vivacité, des traits hardis ; et pour faire honneur à votre esprit, il vous les donnera, malgré les précautions que vous suggérera votre prudence. » Mallet n’avait lui-même composé qu’une ode quand il remplaça, en 1715, le chevalier de Tourreil. La postérité n’en saurait probablement rien, si le hasard n’avait fourni, à ce versificateur discret, l’occasion de gourmander Montesquieu sur l’insuffisance de ses titres.

Montesquieu eut la faiblesse de s’en offenser. Il parut rarement à l’Académie ; on prétend qu’il ne s’y trouvait point à l’aise : il ne s’y voyait point accueilli comme il l’aurait souhaité. Il désirait voyager afin d’étudier par lui-même les institutions et les coutumes des peuples. Il partit pour faire son tour d’Europe. Il le commença par l’Allemagne et l’Autriche, en compagnie d’un diplomate anglais, le comte de Waldegrave, neveu du maréchal de Berwick. Montesquieu avait connu ce maréchal à Bordeaux, et il l’admirait fort.