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les pensées qui répondaient aux dispositions de tous les contemporains. L’ouvrage parut en 1721 ; il en fut fait dans l'année quatre éditions et quatre contrefaçons.

Cet éclat n'alla point sans soulever du blâme et sans éveiller des jalousies. Le nom de l'auteur se répandit promptement. Le monde qui se divertissait du livre, en voulut à l’un des siens de l’avoir composé. C’était l’affaire d’un libelliste et non celle d’un président à mortier, de censurer de la sorte l’État, les mœurs et la religion. Les gens de lettres écrivent ces pamphlets, les gens du monde s’en amusent, les gens du roi les condamnent, l’auteur va en prison, et le lecteur s’en félicite. Ce sont, disait d’Argenson, « des traits d’un genre qu’un homme d’esprit peut aisément concevoir, mais qu’un homme sage ne doit jamais se permettre de faire imprimer ». « Il faut ménager là-dessus l’esprit de l’homme », écrivait Marivaux dans son Spectateur français. Les envieux renchérirent sur les critiques. « Lorsque j’eus obtenu quelque estime de la part du public, rapporte Montesquieu, celle des gens en place se refroidit ; j’essuyai mille dégoûts. » On trouva qu’il avait trop d’esprit ; on le lui fit sentir en le traitant non plus en frondeur, mais en impie et presque en séditieux. Il en souffrit au point de renoncer à avouer publiquement cet ouvrage, qui faisait sa gloire, « J’ai la maladie de faire des livres, écrivait-il, et d’en être honteux quand je les ai faits. »