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par la suite un connaisseur si sagace de l’homme social, se montre dans ces lettres l’observateur pénétrant et ironique de l’homme du monde. La tradition veut qu’il se soit peint dans Usbek : Usbek est grand raisonneur d’affaires et grand chercheur de causes, il prône le divorce, vante le suicide, loue les stoïciens ; mais il est bien agité dans ses amours, bien mélancolique en ses jalousies et d’un atrabilaire féroce, dans la satiété des plaisirs. Ce ne fut jamais le fait d’un Gascon très dégagé du côté du cœur, qui s’attachait avec enjouement, se détachait sans amertume et se distrayait de toutes ses peines avec quelques pages de Plutarque ou de Montaigne. Rica ressemble au moins autant à Montesquieu ; mais il n’est, en, réalité, qu’une autre figure du même personnage. Ces deux Persans sont frères jumeaux. Usbek tient la plume quand Montesquieu fait la morale à ses contemporains ; Rica la prend, lorsque Montesquieu les raille. Et qu’il les raille finement !


Sa galerie de ridicules vaut les plus célèbres collections du genre : le grand seigneur, « un des hommes du royaume qui se représente le mieux », qui « prend sa prise de tabac avec tant de hauteur, se mouche si impitoyablement, crache avec tant de flegme, caresse son chien d’une manière si offensante pour les hommes », qu’on ne peut se lasser de l’admirer ; le directeur de conscience ; le faquin de lettres, qui souffre plus volontiers le bâton sur ses épaules que la critique sur ses ouvrages ; le « déci-