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ce sont les victimes emphatiques d’une destinée fatale. Il y a en eux de l’Abélard posthume et du Triboulet anticipé. Ces eunuques, paraît-il, étaient fort savants et tenaient lieu de précepteurs aux Persans de qualité : quelqu’un d’eux certainement est venu jusque dans le Valais et y a fait l’éducation de Saint-Preux.

Ce sont les faiblesses de l’ouvrage ; c’est en partie ce qui en fit le succès. Cette mode a passé ; les nôtres passeront de même. Arrêtons-nous à ce qui dure. Le style d’abord : il est merveilleusement nerveux, bref, « signifiant », précis surtout, sobre et d’une propriété admirable de tours et d’expressions ; plus vif, plus aisé, plus brusque d’allures que celui de Saint-Évremond ; moins tendu et moins concerté que celui de La Bruyère. Montesquieu ne cherche pas autant l’ornement et la figure qu’il le fera plus tard, quand il traitera des sujets plus arides ; il lui paraît, et c’est juste, que la variété de la pensée suffit ici au divertissement du lecteur. C’est le courant pur de l’esprit français : il coule sur un lit un peu pierreux ; mais que de limpidité dans les eaux, que de joie, de grâce et de lumière dans les remous et dans les cascatelles ! C’est le courant qui s’en va vers Voltaire et Beaumarchais ; Stendhal et Mérimée, en notre siècle, le recueilleront et le détourneront vers nous, mais dans un flux moins franc, sur un lit plus sinueux et plus desséché.

Ces caractères et les traits de mœurs abondent dans les Lettres persanes. Montesquieu, qui se montra