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tion, mais, en même temps, prudent de sa personne, scrupuleux sur les bienséances de son rang, sans goût au scandale, encore moins aux épreuves, il cherche à ses idées un voile assez souple et assez discret pour que son ouvrage pique les sens des curieux sans offenser la pudeur officielle des censeurs. Il suppose que deux Persans, l'un plus enjoué et plus railleur, Rica, l’autre plus méditatif et plus réfléchi, Usbek, viennent visiter l’Europe, échangent leurs impressions, renseignent leurs amis de Perse sur les choses de l’Europe et se font renseigner par eux sur celles de la Perse. La fiction n’était pas entièrement nouvelle ; il importe assez peu de savoir si Montesquieu l’emprunta à Dufresny : il était homme à l’inventer, et, dans tous les cas, il se l’appropria. L’idée de la Perse lui vint de Chardin. Les récits, fort aimables, de ce voyageur, étaient une de ses lectures favorites ; il en tira sa théorie du despotisme et sa théorie des climats ; il s’en inspira dans l’espèce de roman qu’il mêla aux Lettres persanes et dans la composition du décor où il plaça ses personnages : c’est la partie la plus contestable du livre. Elle était toute de mode, elle a entièrement vieilli.

Montesquieu goûtait fort les Mille et une Nuits ; il y aurait trouvé tous les éléments d’un aimable pastiche de conte oriental. Il n’y a point songé. Son roman rappelle, avec moins de grâce lascive, les écrits de Crébillon fils ; avec moins de facilité et d’aimables invraisemblances, les contes d’Hamilton.