Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avez les sentiments aussi bas qu’un homme de qualité ! »

Il a dû souffrir d’autant plus de cette impertinence de Versailles, qu’il était plus réellement modeste. Toute affectation de supériorité le blessait : « Les auteurs sont des personnages de théâtre. » Il ne concevait point la haine, qui lui semblait douloureuse : « Partout où je trouve l’envie, je me fais un plaisir de la désespérer. » Il ne se livrait que dans l’intimité, « dans les maisons où il pouvait se tirer d’affaire avec son esprit de tous les jours ». Cet esprit était merveilleusement alerte, souple, étincelant. Ses amis en étaient charmés et éblouis. Les gens de sa connaissance, qu’il traitait en indifférents, et qui n’avaient que l’écho de sa conversation, lui reprochaient de se montrer avec eux économe de sa verve. Il se recueillait volontiers, paraissant approuver les importuns pour n’avoir point à les écouter, ni surtout à les contredire, se dérobant à la discussion, observant de haut, et « faisant son livre dans la société », ainsi que disait, non sans aigreur, une grande dame auprès de laquelle, dit-on, il réfléchissait trop.

Le meilleur des amis, le plus aimable et le plus aimé, il sut s’accommoder de la retraite, et il la rechercha même quand sa vocation de penseur lui en fit ressentir la nécessité. Il avait le tempérament de l’homme content : la santé régulière, la clarté d’esprit rapide et continue, la faculté indéfinie de s’absorber dans l’étude : « N’ayant jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé »… « Si