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dégage de cette littérature une vapeur lourde dont les contemporaines de Montesquieu auraient eu la nausée, et quelque chose d’insupportable, qui pour elles était le pire des scandales : l’ennui.

Voilà un scandale que Montesquieu ne leur donna jamais. C’est qu’il plaisante en ces intermèdes, qu’il ne s’y éternise point et qu’il n’a garde de confondre le motif de la vignette avec le sujet du chapitre. Il est frivole, comme il est curieux, par dissipation et incartade de verve gasconne ; mais le penseur ramène très vite le vagabond au grand chemin. Le philosophe a toujours le dernier mot.

Il tenait grandement à la dignité de son nom. Ce gentilhomme libéral était fort épris de sa naissance. Il s’enorgueillissait de descendre d’une race conquérante. « Nos pères, les Germains, guerriers et libres », cette pensée, qui revient si souvent et sous tant de formes dans ses écrits, est chez lui la pensée de derrière la tête, l’expression d’un préjugé primordial, dont il se flatte, qu’il ne discute pas et qu’il tâche au contraire de fortifier par ses lectures. Il dit complaisamment : mes terres, mes vassaux. Cette aride matière des fiefs, qui éloigne et déconcerte ses contemporains, a pour lui un attrait tout personnel de généalogie.

Mais le feudiste s’allie en lui au parlementaire ; s’il n’a point le goût de sa charge, il a la conviction passionnée des prérogatives de son corps. Et comme il est nourri de l’antiquité, il porte dans la revendication des libertés féodales une sorte de fierté repu-