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libertin. Il faut bien le dire ici, puisqu’il en reste une marque en ses ouvrages : c’est à la fois le signe et la tache du temps. On ne connaîtrait point Montesquieu si l’on ne regardait en lui, au moins en passant et à la dérobée, le bel esprit de boudoir et le magistrat galant, émule, en parties fines, du président Hénault et du président de Brosses.

« La société des femmes, a-t-il dit quelque part, gâte les mœurs et forme le goût. » On pourrait dire le contraire des femmes qu’il a connues : son sens moral ne s’est point émoussé en leur compagnie, son goût s’y est affadi. C’est pour leur plaire qu’il a composé certains opuscules qui déparent ses œuvres, et qu’il a semé ses plus beaux chapitres de pointes licencieuses qui les gâtent. C’est ce qui faisait lire ses livres au beau monde d’alors ; c’est ce qui risquerait d’en détourner le beau monde d’aujourd’hui. Non que ce monde soit moins frivole, en ses pensées, et se montre plus délicat en sa morale ; mais la mode a changé, et la mode, en cette matière et en ce milieu, est le plus intolérant des censeurs. Le libertinage musqué et plein d’afféterie chez Fontenelle, ironique et concerté chez Montesquieu, avilissant et cynique chez Voltaire, lascif chez Rousseau, lubrique et débraillé chez Diderot, s’est fait emphatique avec Chateaubriand, théâtral avec les romantiques, pédantesque, pathologique et funèbre avec l’école qui a suivi. Il y a loin de cette école et de son galimatias d’hôpital d’hystériques, au badinage de ruelle où s’oublie volontiers Montesquieu ; il se