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pénétrable au sentiment chrétien. Il était bon, il se montra généreux, « Je n'ai jamais, disait-il, vu couler les larmes de personne sans en être attendri ; je sens de l’humanité pour les malheureux, comme s’il n’y avait qu’eux qui fussent hommes. » Mais il redoutait de le laisser paraître. Il estimait « qu’une belle action est celle qui a de la bonté, et qui demande de la force pour la faire ». Il s’efforçait jusqu’à l’affectation : son mépris de la fausse sensibilité se traduisait en froideur ; il poussait la crainte de paraître dupe de son cœur et celle de paraître tirer vanité de ses bienfaits, jusqu’à se dérober à la reconnaissance.

Il entrait dans cette retenue une certaine sécheresse et beaucoup de timidité. « La timidité a été le fléau de ma vie. » Il avoue qu’il en souffrait surtout devant les sots. On peut croire qu’il en souffrit quelquefois avec les femmes. Il les aimait, il les aima longtemps, il fut aimé de quelques-unes. Il aimait sans flamme, sans inquiétude, sans roman, en un mot, mais avec vivacité, avec esprit, plus avide de divertissement que de tendresse, plus superficiel dans l’amour que dans l’étude, mais y portant la même curiosité, avec plus de complaisance. S’il eut des passions, elles l’agitèrent peu ; s’il eut des déceptions, il s’en consola vite ; s’il s’abandonna souvent, il ne se livra jamais. « J’ai été dans ma jeunesse assez heureux pour m’attacher à des femmes que j’ai cru qui m’aimaient ; dès que j’ai cessé de le croire, je m’en suis détaché soudain. » Il y avait en lui du