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La plus merveilleuse collection d’objets rares ne lui suffit pas. Il ne se contente point de promener les amateurs dans sa galerie et de jouir, avec malice, de leurs étonnements devant la variété des formes et le renouvellement infini des contrastes. Il veut expliquer à lui-même et à autrui cette prodigieuse diversité de la nature, découvrir des règles dans la confusion apparente des faits, et surprendre par les similitudes plus encore que par les oppositions. « Notre âme est faite pour penser, c’est-à-dire pour apercevoir : or un tel être doit avoir de la curiosité ; car, comme toutes les choses sont dans une chaîne ou chaque idée en précède une et en suit une autre, on ne peut aimer à voir une chose sans désirer d’en voir une autre. » C’est la curiosité du savant et de l’historien.

Cette curiosité implique une indépendance entière de jugement ; Montesquieu la posséda toujours. Sa pensée est une des plus affranchies de préventions, des plus libres, au sens propre du mot, qui se puisse concevoir. Cependant, s’il n’eut jamais les préjugés de la superstition, il eut, un moment, ceux de l’impiété. Sous l’empire de la réaction qui se faisait, au temps de sa jeunesse, contre l’orthodoxie des dernières années de Louis XIV, il se montre esprit fort, poussant la liberté de pensée jusqu’à l’irrévérence, et l’indépendance sur l’article de la foi jusqu’à l’hostilité. Il ne demeura point dans ces dispositions. La contemplation même de l’ordre des faits et des idées le détourna du scepticisme ; l’étude appro-