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toujours impatient, les lui rendait ingrates et pénibles. Il n’était point capable de cette minutieuse attention qui est une partie du génie des découvertes scientifiques, et que Gœthe unissait à l'imagination créatrice. Montesquieu se poussait tout de suite aux conclusions ; il était avide de peindre en grand et à grands traits. Il conçut, avant Buffon, le plan d’une Histoire physique de la terre ancienne et moderne. Il adressa, en 1719, des circulaires dans tout le monde savant, pour demander des notes. Au cours de cette reconnaissance dans le passé de l’univers, il retrouva les hommes et l’humanité, et il s’arrêta à les considérer. C’était l’objet auquel son génie le destinait ; il y inclina de lui-même, par une pente naturelle, et s’y attacha pour toujours. Mais de ces excursions scientifiques et de son passage dans les laboratoires, il lui resta une conception de la science, une méthode de travail et un instinct de l’expérience, qui se retrouvèrent dans ses ouvrages de politique et d’histoire.

C’est ainsi qu’il se forma. À trente ans, il était, à quelques nuances près, ce qu’il demeura jusqu’à la fin. Il y a peu d’écrivains qui aient exercé autant d’influence sur leur siècle, et qui aient été si peu mêlés aux affaires de ce siècle. La vie privée de Montesquieu n’a point d’intérêt ; elle n’éclaire en quoi que ce soit ses ouvrages. C’était un galant homme et un penseur : il aurait jugé indiscrets ceux qui se seraient enquis de sa personne, il se serait trouvé indiscret lui-même d’en occuper autrui. Il ne voulait être connu que par ses ouvrages.