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rale, qui est imposée par l’ensemble des mouvements du terrain. Au-dessus de l’action des individus, cause humaine isolée, il y a l’action des sociétés, résultante vivante des causes individuelles accumulées. C’est « l’allure principale qui entraîne avec elle tous les accidents particuliers ». C’est elle qui fait que si César n’était pas venu, un autre aurait pris la place de César. Montesquieu ne l’a jamais mieux définie que par cet exemple : « Il était tellement impossible que la république pût se rétablir, qu’il arriva, ce qu’on n’avait jamais encore vu, qu’il n’y eut plus de tyran, et qu’il n’y eut plus de liberté : car les causes qui l’avaient détruite subsistaient toujours. »

L’historien détermine et développe ces causes. Il suit, dit-on, les grandes routes royales de l’histoire ; ces routes sont aussi les nationales et les populaires. L’humanité y a passé, l’historien relève sur la carte la trace de son passage. C’est la voie large et directe de l’histoire. À quoi bon s’en écarter pour battre les buissons d’alentour ? À quoi bon s’égarer sur toutes les pentes et s’évertuer vainement pour discerner la piste de tous les vagabonds ? Les premiers piétons qui traversèrent les montagnes ont suivi le cours des torrents ; les chemins se sont faits sur les sentiers ; les grandes routes ont élargi les chemins, et les ingénieurs des lignes ferrées ont à leur tour côtoyé les grandes routes.

Entre Montaigne et Pascal, le trop-plein de l’ironie humaine et l’abîme de la raison anéantie en soi-même, il y a un milieu pour la science, la réflexion et le sens