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main gauche, à cette ironique doctrine que le fait, dans ce monde, « se couvre de droit comme il peut ».

— « On se fait ordinairement, disait-il, une idée superstitieuse des grandes révolutions des empires ; mais, lorsqu’on est dans la coulisse, l’on voit, pour la plupart du temps, que les scènes les plus magiques sont mues par des ressorts communs et par de vils faquins… » Être dans la coulisse, c’est la vanité du monde ; que de chroniqueurs ont prêté de grands effets à de petites causes, uniquement pour se vanter de les avoir aperçues ! Voltaire a cru à cette boutade de Frédéric, et Frédéric a plié Voltaire à ses desseins, en le persuadant qu’il servait le hasard ; le philosophe en tirait orgueil, et le roi le traitait comme ces fameux meneurs d’hommes ont usage de traiter leurs dupes, en faquin de la politique. Que resterait-il, à ce crible, de Frédéric lui-même, de ses campagnes et de sa politique ? Montesquieu le confond d’un mot, en le ramenant à lui-même et à sa propre gloire : « La fortune n’a pas ces sortes de constance. »

Il en est des phénomènes de l’histoire comme de ceux de la nature physique : le hasard seul ne fait point qu’ils se répètent et se succèdent dans des conditions identiques. Cette succession a ses lois : les faits ne sont point juxtaposés et isolés ; ils se tiennent, ils ont leur connexion. Le hasard ne dispose que de la forme de l’événement. Le fleuve coule de la montagne et s’en va vers la mer : ce rocher le détourne, mais il ne fait point remonter les eaux vers leur source ; il n’en modifie point la direction géné-