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Comment ne point discerner l’empire dans ces tableaux de Rome qui, composés après coup, passeraient pour une allusion ou une satire, et qui, composés plus d’un demi-siècle auparavant, semblent les fragments d’une prophétie ? Cette passion maîtresse de la gloire dans tout le peuple ; cette nécessité d’étonner les hommes pour les soumettre ; cette « guerre de réputation » que le plus audacieux dans l’ambition fait à ses rivaux ; cet art de les attaquer « avec leurs propres armes, c’est-à-dire par des victoires contre les ennemis de la République » ; cette Rome impériale qui n’est, à proprement parler, ni empire ni république, mais la tête du corps formé par tous les peuples de l’Europe ; ces peuples, associés ensemble, et qui n’ont rien de commun que leur commune obéissance ; ces nations qui se nouent avec les liens mêmes de la conquête ; ces rois que Rome avait semés partout pour s’en faire des esclaves, et qui tournent contre elle les ressources qu’elle leur a distribuées ; cette impossibilité de soutenir « jusqu’au bout une entreprise qui ne peut manquer dans un pays sans manquer dans tous les autres, ni manquer un moment sans manquer pour toujours » ; Rome enfin détruite parce que toutes les nations l’attaquent à la fois, l’investissent et l’assaillent de toutes parts, résultat si fatal de la politique romaine que Montesquieu l’annonce à quiconque recommencera la même carrière : « Si aujourd’hui un prince faisait en Europe les mêmes ravages, les nations repoussées dans le Nord, adossées aux limites de l’univers, y tiendraient ferme