Au moment où Montesquieu faisait la théorie de la république, l’instinct en naissait dans les esprits et le mot s’insinuait dans le peuple. L’éducation classique entretenait cet esprit ; la littérature classique en popularisait le vocabulaire. « Quelqu’un, écrivait d’Argenson en 1747, osera-t-il proposer d’avancer quelques pas vers le gouvernement républicain ? Je n’y vois aucune aptitude dans les peuples : la noblesse, les seigneurs, les tribunaux, accoutumés à la servitude, n’y ont jamais tourné leurs pensées ; cependant ces idées viennent, et l’habitude chemine promptement chez les Français. » Elle chemina sourdement sous le sol, tout nivelé et dallé à la romaine par la monarchie. Il se produisit une secousse qui ouvrit une issue aux eaux souterraines : elles se répandirent et coulèrent d’elles-mêmes dans ce lit qui semblait leur être destiné.
La même vocation, qui avait appelé Montesquieu à décrire la république romaine et à s’en faire littérairement le citoyen, appela les Français de la Révolution à renouveler cette république en France et à s’en faire les citoyens vivants. Leur instinct héréditaire, guidé par les écrits de Montesquieu, leur suggéra ce que son imagination historique lui avait fait apercevoir. Amenés à organiser la démocratie, ils y apportent les mêmes dispositions d’esprit que Montesquieu avait apportées à en faire l’histoire. Ils la conçoivent d’après les mêmes originaux ; ils comprennent les anciens comme Montesquieu les a compris ; ils les trouvent dans ses ouvrages, comme ils les désirent et