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qu’on doit faire. » Bielfeld prend à Montesquieu toute l’essence de ses Institutions politiques ; mais il la noie dans le droit naturel et tâche de concilier, par cette mixture, l'Esprit des lois avec le système de Wolf.

Les princes en usent comme les philosophes. « Son livre est mon bréviaire », dit la grande Catherine. Elle en fait des extraits, qu’elle livre aux méditations de sa pompeuse commission du code russe ; mais si elle prodigue à ses sujets des maximes d’apparat sur l’égalité et la liberté humaines, elle se pénètre, dans la pratique, de cette règle du maître : « qu’un empire étendu suppose naturellement un pouvoir illimité dans celui qui gouverne » ; elle en conclut que le meilleur moyen de soutenir l’État russe est d’en fortifier le principe, c’est-à-dire l’autocratie. Les auteurs du code prussien de 1792 ne laissent point de subir l’influence de l'Esprit des lois. L'ensemble de leur ouvrage ne respire que le despotisme éclairé ; mais ces collèges administratifs se contrôlant et se contenant les uns les autres ; cette espèce d’inamovibilité des agents de l’État, qui leur assure l’indépendance ; cette part considérable faite aux nobles dans l’administration communale ; ce maintien rigoureux de la hiérarchie et des castes ; cette interdiction faite aux gentilshommes d’exercer le commerce, rappellent les mesures que Montesquieu proposait pour conserver le principe de la monarchie.

En France, Montesquieu passait toujours pour séditieux près des pédants et des dévots. Ils l’accusaient