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de sa vie et dans son sentiment intime de mourir, comme il l’avait dit, « du côté de l’espérance ». Il avait l’âme stoïque ; il finit en chrétien déférent et respectueux. Il expira à Paris le 10 février 1755 : il avait soixante-six ans.

Sa gloire n’était point surfaite. Elle ne fit que s’affermir et s’élever avec le temps. Il se préoccupait fort du jugement de la postérité et de l’avenir de son livre. « Mon ouvrage, disait-il, sera plus approuvé que lu. » Il aurait pu ajouter : plus souvent lu que compris, et plus souvent compris qu’appliqué. Son hygiène hippocratique, dédaignée des spéculatifs, irritait les empiriques. Il conseillait aux princes la modération, et tous les gouvernements, en Europe, tendaient à se corrompre par l’abus du pouvoir. Le courant était au despotisme éclairé, dans la pratique, au droit naturel dans la doctrine. Les penseurs et les politiques prirent dans Montesquieu ce qu’ils trouvèrent à leur portée : sa méthode leur échappa. On les voit invoquer son autorité dans le détail, et méconnaître son esprit ; appliquer des réformes qu’il conseille et enfreindre les règles qu’il prescrit.

D’Alembert fit son Éloge et y ajouta une Analyse de l’Esprit des lois, où il tire le livre et l’auteur du côté de l'Encyclopédie. Beccaria, qui s’inspire des chapitres sur les lois criminelles, est un pur jurisconsulte : il déduit et n’observe point. Filangieri imite Montesquieu et prétend le corriger : « Montesquieu s’occupe de montrer les raisons de ce qu’on a fait ; et moi je tâche de déduire les règles de ce