Page:Sorel - Montesquieu, 1887.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

génie français reçut ainsi, à la fin de 1750, ses lettres de naturalisation. Il en fut fait vingt-deux éditions en moins de deux ans, et on le traduisit dans toutes les langues.

Les Italiens s’en montrèrent enthousiastes ; les Anglais y rendirent un éclatant hommage. Le roi de Sardaigne le fit lire à son fils. Le grand Frédéric, qui avait annoté les Considérations sur les Romains, ne laissa point de faire quelques réserves sur l'Esprit des lois. « M. de Maupertuis m’a mandé, écrivait Montesquieu, qu’il (Frédéric) avait trouvé des choses où il n’était pas de mon avis. Je lui ai répondu que je parierais bien que je mettrais le doigt sur ces choses. » Mais Frédéric, qui prenait son bien où il le trouvait, n'eut garde cependant de négliger les leçons de Montesquieu, et l’on peut commenter par l’histoire de son gouvernement de la Silésie les sages maximes de l'Esprit des lois sur les conquêtes.

Montesquieu put goûter toute sa gloire. Il vieillit environné de l’admiration de l’Europe. Il n’écrivit plus guère. Un beau fragment stoïcien, Lysimaque, l’aimable roman d’Arsace et Isménie, un Essai sur le goût destiné à l'Encyclopédie, sont tout ce qui reste de ses dernières années. Il partageait son temps entre Paris et La Brède, jouissant de son bien, jouissant davantage de la société de ses amis. Il devenait aveugle et supportait avec sérénité cette grande épreuve. « Il me semble, disait-il, que ce qu’il me reste encore de lumière, n’est que l’aurore du jour où mes yeux se fermeront pour jamais. » Il entrait dans le dessein