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combien les politiques sont encore loin de compte avec l’humanité, le bon sens et l'expérience.

Montesquieu n’a guère fait que d’ouvrir des vues sur ce grand sujet qu’il dominait de si haut ; il s’est complu, au contraire, dans des considérations économiques où la conjecture a trop de part, et où les faits, incomplètement observés et comme amoncelés autour de lui, offusquent ses yeux et l’égarent trop souvent. Son plus grand mérite, ici, est d’être arrivé le premier et d’avoir, avant Adam Smith, essayé de donner une forme scientifique aux problèmes de l’économie d’État.

Le morceau capital et le plus durable de cette partie de l'Esprit des lois est l’histoire du commerce que Montesquieu y a intercalée : elle est d’une large disposition et s’avance d’un beau flux. C’est une étude sur le progrès des relations entre les sociétés humaines et un grand chapitre détaché de l’histoire de la civilisation. On y voit le commerce sortir peu à peu « de la vexation et du désespoir » pour arriver à la sécurité. Mais au prix de quelles expériences sanglantes et atroces, comme la proscription des juifs et celle des huguenots en France, est-on venu à cette conclusion qui confirme, par les leçons de l’intérêt, toutes les leçons de la politique ? « C’est une expérience reconnue, qu’il n’y a plus que la bonté du gouvernement qui donne de la prospérité. »

La théorie de Montesquieu sur le commerce repose sur une distinction très subtile entre « le commerce de luxe », destiné à fournir aux nations ce qui flatte