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guerre est le fond de ces rapports barbares : on fait la guerre pour attaquer, on la fait pour se défendre, on la fait pour conquérir, on la fait pour prévenir l’attaque qu’on redoute et pour éviter la conquête dont on se croit menacé. Tout en ce prétendu droit se ramène à l’intérêt.

L’intérêt en est la seule sanction. La guerre n’est pas un droit, elle est un acte de force ; la conquête ne crée aucun droit par elle-même. « C’est à un conquérant à réparer une partie des maux qu’il a faits. Je définis ainsi le droit de conquête : un droit nécessaire, légitime et malheureux, qui laisse toujours à payer une dette immense pour s’acquitter envers la nature humaine. » C’est à ces conditions seulement que la conquête se justifie et qu’il en résulte un droit du conquérant sur le peuple conquis. Le conquérant gagne ce peuple en le gouvernant bien. Par suite, il y a une limite naturelle à la conquête : la faculté d’assimilation. On ne doit conquérir que ce qu’on peut garder et s’identifier. Les États ont leurs proportions : on ne doit point dépasser les limites du territoire que l’on peut gouverner sans épuiser les forces et sans ruiner le principe du gouvernement.

Toutes les règles du droit des gens se ramènent à cette maxime et se résument en ce précepte : « que les diverses nations doivent se faire, dans la paix, le plus de bien, et dans la guerre, le moins de mal qu’il est possible, sans nuire à leurs véritables intérêts. » Il suffit de rapprocher ces aperçus de Montesquieu de la pratique des États, pour montrer