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ses idées sur l’esclavage. Il n’était point inutile d’en signaler l’abus et d’en montrer les dangers, notamment dans une démocratie. La république des États-Unis s’est formée avec l’esclavage ; elle ne s’en est affranchie qu’après un siècle d’expériences et après une lutte où elle a failli sombrer. Une révolution a été nécessaire pour supprimer l’esclavage dans les colonies françaises. Il a fallu la grande lassitude des gouvernements après l’Empire et la grande trêve de Vienne, en 1815, pour que l’Europe officielle s’inquiétât des noirs et entendît l’appel que lui adressait Montesquieu plus d’un demi-siècle auparavant, « De petits esprits exagèrent trop l’injustice que l’on fait aux Africains, disait-il en sa mordante ironie. Car, si elle était telle qu’ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d’Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d’en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ? »

Les princes d’Europe ont écouté ce conseil d’humanité ; ils ont méconnu les conseils de sagesse que leur a donnés Montesquieu dans les chapitres sur le Droit des gens. On en est encore, sur cet article, à choisir entre un droit idéal que les spéculateurs déduisent dans l’abstraction de l’école, et une jurisprudence réaliste que les politiques suivent dans le monde. Voltaire la qualifiait de « jurisprudence des voleurs de grands chemins », et Montesquieu, toujours plus déférent envers la nature humaine et plus respectueux du décorum politique, la définit « une science