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pas l’y établir ; quand elle y est établie, il faut la tolérer. » Pour la détruire, si on le juge expédient, les moyens doux et insidieux sont les seuls efficaces. « Il est plus sûr d’attaquer une religion par la faveur, par les commodités de la vie, par l'espérance de la fortune ; non pas par ce qui avertit, mais par ce qui fait que l’on oublie ; non pas par ce qui indigne, mais par ce qui jette dans la tiédeur, lorsque d’autres passions agissent sur nos âmes, et que celles que la religion inspire sont dans le silence. Règle générale : en fait de changement de religion, les invitations sont plus fortes que les peines. » Ainsi l’avait entendu Richelieu, grand machiavéliste en ces matières ; ainsi l’entendaient les politiques qui, comme Saint-Simon, reprochaient à Louis XIV d’avoir gâté par sa violence et son orgueil l’œuvre de la patience et de la suggestion.

Quelques lecteurs seraient peut-être enclins à voir dans ce passage une pure ironie. Je crois qu’ils se tromperaient, et que Montesquieu dit bien ici tout ce qu’il pense. Une religion d’État, tempérée par l’indifférence du grand nombre et l’incrédulité de l’élite, lui semble préférable, au fond, à la concurrence des sectes. Il considère le clergé comme un ordre utile dans l’État ; mais c’est un ordre que l'on doit contenir. L’État en doit limiter les richesses, qui semblent démesurées en France. Montesquieu s’effraye de l’influence du clergé dans les affaires politiques, auxquelles, dit-il, le clergé n’entend rien. Quant aux moines, son mépris pour eux est invétéré, et il n’en