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et bien plus accessible aux Européens, du despotisme tempéré par la religion. Montesquieu n’a fait qu’entrevoir, de très loin et confusément, l'autocratie des tsars. Ce que la Russie montrait déjà et ce qu’elle a montré depuis, ébranle beaucoup de ses maximes et en ruine quelques-unes.

« Personne, dit-il à propos des gouvernements despotiques, n’y aime l’État et le prince. » Voici un empire où le prince est la loi vivante et arbitraire, et où l’amour qu’il inspire au peuple fait toute la force de l’État. Montesquieu ne pense point que ce gouvernement comporte de magnanimité : Catherine II et son petit-fils Alexandre ont prouvé le contraire. Il estime que la faculté qu’a le tsar de choisir son successeur, rend le trône chancelant : « l’ordre de succession étant une des choses qu’il importe le plus au peuple de savoir ». Le désordre le plus fantasque a régné dans la succession au trône de Russie pendant tout le XVIIIe siècle ; ce trône s’est constamment affermi, et le peuple russe ne s’est enquis du nom de ses maîtres que pour changer, dans ses prières, le nom du saint qu’il invoquait. Montesquieu a écrit, pour conclure sur le despotisme en le flétrissant, ce fameux chapitre qui n’a que trois lignes et qui renferme une si grande image : « Quand les sauvages de la Louisiane veulent avoir du fruit, ils coupent l’arbre au pied et cueillent le fruit. Voilà le gouvernement despotique. » C’est celui du sultan ; ce n’est point celui du tsar Pierre ni celui de la grande Catherine.