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l'égalité engendre la spoliation, l'ostracisme, l'anarchie et produit nécessairement la décadence de l'État. Plus les droits de l’individu sont étendus, plus ses passions deviennent impérieuses. Plus l’implacable loi de la lutte pour l’existence étend son empire sur les sociétés, plus il est nécessaire que les démocraties se retrempent en leur principe : la solidarité nationale, l’amour supérieur de la patrie, l’union sociale en vue du bien commun. Qu’est-ce que tout cela, sinon la vertu telle que l’a définie Montesquieu ?

Cette vertu ne serait pas moins nécessaire aux aristocraties, c’est-à-dire aux républiques où la souveraineté est entre les mains de quelques-uns. Montesquieu traite longuement de ces aristocraties ; mais le sujet ne nous intéresse plus : cette forme de république a disparu de l’Europe. Elle y existait encore du temps de Montesquieu. Il l’avait observée à Venise et étudiée d’après la Pologne. Il déploie sur cette dernière république des vues qui portent loin. C’est, dit-il, la plus imparfaite des aristocraties, « celle où la partie du peuple qui obéit est dans l’esclavage civil de celle qui commande ». La république ne subsiste en Pologne qu’à l’égard des nobles, et ils la ruinent. Pour la soutenir, « les familles aristocratiques doivent être peuple autant qu’il est possible ». Il faut que leurs privilèges se renouvellent et se légitiment sans cesse par de nouveaux services ; sinon la république n’est plus qu’un « État despotique qui a plusieurs despotes… » L’indépendance