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en ait abusé, la démocratie peut se corrompre. C’est lorsque l'esprit d’égalité se fausse, et que l’ambition ne se borne plus « au seul bonheur de rendre à sa patrie de plus grands services que les autres citoyens » ; la convoitise personnelle gâte l’ambition et l’orgueil la pervertit ; les richesses particulières augmentent, et avec elles l’indifférence au bien public ; le sentiment de l’indépendance individuelle se substitue à celui de la liberté d’État ; la solidarité se perd ; la jalousie se fait jour ; plus de discipline ; l’égalité dégénère en anarchie ; on voit disparaître des mœurs cette austérité qui ne retranchait tant des passions égoïstes que pour donner plus de force aux passions sociales qu’elle laissait subsister ; les citoyens, en un mot, perdent « ce renoncement à soi-même » qui était le ferment de toute la vertu républicaine. Alors tout est fini, et les remèdes mêmes deviennent funestes, car la force artificielle qu’ils rendent à l’État ne profite qu’à la tyrannie et achève de ruiner la république.

« Lorsque les principes du gouvernement sont une fois corrompus, les meilleures lois deviennent mauvaises et se tournent contre l’État ; lorsque les principes en sont sains, les mauvaises ont l’effet des bonnes ; la force du principe entraîne tout. »… « Le principe de la démocratie se corrompt non seulement lorsqu’on perd l’esprit d’égalité, mais encore quand on prend l’esprit d’égalité extrême, et que chacun veut être égal à ceux qu’il choisit pour lui commander… Il ne peut plus y avoir de vertu dans la république. »