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AVANT-PROPOS.

deuxième édition de la Bibliothèque françoise ne paraît qu’en 1667. Sorel a le temps de lire le livre où il est si maltraité et de remplacer par quelques phrases acidulées celles que nous venons de rapporter. Il s’en garde bien : il a le bon esprit de conserver sa première rédaction. Et d’ailleurs pourquoi se reconnaîtrait-il dans « Charroselles ? » Il a, comme lui, le nez long et la taille courte, d’accord ; mais il n’a que cela de commun avec ce cuistre : c’est ce que n’aurait pas dû oublier Furetière.

Pour être juste, nous devons adresser le même reproche à Sorel, qui n’a vu dans Balzac qu’un pédant à blasonner. Le grand épistolier, l’élogiste général, comme on le qualifiait, avait des ridicules de toute sorte : il se plaisait à afficher en tête de ses lettres les noms des plus hauts personnages ; il vantait tout le monde avec une fatigante monotonie et se vantait lui-même avec une outrecuidante vanité. Rien de plus vrai ; mais ce sont les ridicules d’un homme que Bayle, sans marchander, appelle la plus belle plume de France. « On ne sçauroit, ajoute-t-il, assez admirer, vu l’état où il trouva la langue françoise, qu’il ait pu tracer un si beau chemin à la netteté du style. Il ne faut pas trouver étrange que ses écrits sentent le travail. L’élévation et la grandeur étoient son principal caractère ; on ne va point là sans méditation[1]. » On sait que Bayle ne loue qu’à bonnes enseignes. Il se rencontre dans cet éloge avec Tallemant des Réaux, qui se regarde comme forcé de reconnaître le talent de Balzac. « Il est certain, dit-il, que nous n’avions rien vu d’approchant en France, et que tous ceux qui ont bien écrit en prose depuis, et qui écriront bien à l’avenir en notre langue, lui en auront l’obligation[2]. » Nous regrettons que Sorel ait jeté sur les épaules de Balzac la souquenille d’Hortensius. — Qu’il ne se retranche pas derrière le désaveu de son œuvre. « Sorel, dit l’auteur des Historiettes, a voulu, dans le Francion, railler de lui (Balzac) en la personne de son pédant Hortensius. » C’est ce qu’on appelle faire d’une pierre deux coups. Mais ouvrons encore la Bibliothèque françoise. Après avoir médiocrement loué Balzac, Sorel parle de tous ceux qui, à sa suite, ont été possédés de la manie épistolaire : « Pour ce que chacun, continue-t-il, n’y réussissoit pas au gré de tout le monde, et que plusieurs se faisoient moquer d’eux, imitant M. de Balzac fort à contre-temps. Cela donna sujet à quelqu’un de dresser de petits dialogues pour s’en divertir, et de les insérer dans l’Histoire comique de Francion, lorsqu’on l’imprimeroit pour la seconde fois, ce qui étoit aisé à faire, ce livre ayant été amplifié par diverses personnes. On y a introduit un pédant Hortensius…[3] » Sorel essaye de donner le change en insinuant que ce

  1. Dict. hist. (1820), t. III, p.67.
  2. Historiettes, 1re éd., III, p. 155.
  3. P. 110.