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dans peu de temps que tout ce qu’il avoit dit étoit faux, et ne put soutenir le contraire de ce que son compagnon avoit déjà avoué. L’innocence de Francion étant lors fort bien vérifiée, le juge crut que ce seroit une injustice de le retenir, puisqu’il n’y avoit personne qui eût rien à dire contre lui ; de sorte qu’il lui dit tout haut qu’il étoit libre pour s’en retourner où il voudroit, et que la punition seroit faite de ceux qui l’avoient injustement calomnié. Mais Bergamin et Salviati, qui étoient présens, s’avancèrent alors pour parler au magistrat. Ils s’étoient mêlés parmi la foule, pour venir voir ce qui arriveroit de Francion : car ils avoient sçu l’accusation que l’on avoit formée contre lui : et, voyant alors qu’il étoit trouvé innocent, et que l’on lui rendoit sa liberté, ils s’allèrent figurer que peut-être après cela il ne demeureroit plus guère à Rome, et qu’il se déplairoit en un lieu, où l’on lui avoit voulu faire tant d’outrage. Ils pensoient qu’il le falloit faire arrêter à la requête de Lucinde et d’Émilie, afin de le contraindre à épouser celle qu’il avoit témoigné d’aimer, ou au moins de le faire condamner envers elle en beaucoup de dommages et intérêts. Ce fut Salviati qui porta la parole, comme le plus entendu en affaires. Il dit au juge qu’il s’opposoit à la délivrance de Francion, qui devoit être retenu pour un autre crime ; qu’il avoit promis mariage à la fille de Lucinde, laquelle il avoit même été voir les nuits, de sorte qu’il ne pouvoit réparer son honneur qu’en l’épousant Raymond entendit fort bien ceci, et dit promptement à Lucio, qu’il falloit envoyer requerir Corsègue, pour sçavoir encore la vérité de cette affaire-ci. Lucio y envoya aussitôt, et il n’étoit pas à moitié chemin de la prison. Quand il fut venu, Raymond lui demanda s’il ne connoissoit pas bien Salviati, et si ce n’étoit pas celui qui faisoit les affaires d’Ergaste, et qui lui avoit dit tant de choses du dessein que ce seigneur avoit de tromper Francion, lui faisant aimer une dame dont il avoit déjà joui, afin que cependant il perdît les bonnes grâces d’une autre qu’ils aimoient tous deux. Corsègue n’avoit garde de faillir qu’il n’avouât cela : car il eût été marri s’il n’y eût eu que son maître et lui qui eussent été trouvés en faute. Il étoit de l’humeur de tous les méchans, qui sont bien aises d’avoir des compagnons. Lucio connut donc que cette Émilie devoit être une fille trop libre et trop peu honnête ; tellement qu’un