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donc Hortensius en sa maison, pour dire à Audebert qu’il rendît cet homme sans résistance. Cela fut fait incontinent, et Audebert s’en vint aussi avec lui chez le juge, pour voir ce qui arriveroit. Ils dirent alors au juge : Si vous ne croyez ce que cet homme a écrit, encore méritons-nous quelque croyance ; nous voilà trois maîtres et cinq ou six valets qui avons tous ouï réciter fort au long les fourbes qu’il confesse que l’on a voulu jouer à Francion : nous peut-il démentir tous tant que nous sommes ? Il vous faut ouïr chacun à part, dit le juge. Cela importe de peu, dit Corsègue ; j’avoue déjà que je leur ai dit tout cela et que j’ai aussi écrit ce qu’ils vous montrent ; mais cela n’est pas vrai pourtant : je le disois pour me garantir de la gêne et de la mort qu’ils m’avoient préparée, et je n’ai aussi écrit cela que pour le même sujet.

Ainsi ce méchant pensoit désavouer ce qu’il avoit dit, à cause qu’il étoit en lieu d’assurance ; et les François s’étonnèrent grandement d’une telle perfidie, se ressouvenant des sermens horribles qu’il avoit faits. Le juge n’avoit garde de rien faire contre Corsègue, qui étoit son ami et lui avoit fait quantité de présens. Il dit qu’il croyoit que l’on avoit merveilleusement tourmenté cet homme, et que ceux qui l’avoient fait en seroient punis. Alors Corsègue, voyant qu’il adhéroit à ses intentions, montra à nu quantité de lieux de son corps qui étoient meurtris par les coups qu’il disoit que l’on lui avoit donnés, et il fit voir aussi la marque des cordes dont l’on lui avoit lié les jambes au-dessus de la cheville du pied. Tous les Italiens fulminoient contre Raymond et les autres François pour leur cruauté, et l’on alla vitement fermer la porte de la maison, pour s’assurer de leur personne. Corsègue avoit bien cru que Raymond et Francion étoient capables de le récompenser s’il confessoit devant les magistrats ce qu’il sçavoit de son maître, mais il considéroit que peut-être n’en pourroit-il pas venir là et que Valère ou quelqu’un de ses parens le feroit tuer pour sa trahison. Il avoit songé à cela toute la nuit, si bien qu’il demeuroit dans son opiniâtreté. Le juge, qui étoit présent, prenoit conseil d’un autre côté pour envoyer querir un renfort de satellites, afin d’envoyer les François en prison, car sa maison n’étoit pas capable de loger tant de prisonniers. Il avoit résolu de leur faire le procès, aussi bien qu’à Francion, comme étant de ses com-