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mes, qui étoient la plupart plus pacifiques que guerriers, se contentoient de faire ce que l’on leur avoit commandé, sans s’amuser à combattre avec ces hommes-ci, où ils eussent pu gagner quelque coup, sur l’incertitude d’en avoir raison, car c’étoient des étrangers qui s’en pouvoient fuir, et que l’on ne reverroit jamais. Quelques-uns s’arrêtèrent donc à les amadouer par de belles paroles, et cependant les autres emportèrent vitement les coffres. Raymond, ayant repoussé ceux qui parloient à lui, vouloit aller empêcher que les autres ne sortissent avec leur butin, mais ils l’arrêtèrent encore, et, voyant sa furie, ils furent d’avis de songer aussi à se retirer eux-mêmes, et, le quittant soudain, ils prirent le chemin de l’escalier avec une telle vitesse, qu’ils se culbutoient les uns les autres ; et, quand ils furent à la porte, ils ne firent point de cérémonies pour sortir, comme ils avoient fait pour entrer. L’hôte dit à Raymond qu’il sçavoit bien que Francion n’avoit rien dedans ses coffres qui le pût faire soupçonner d’aucune chose, et qu’il les avoit vus souvent ouverts ; tellement qu’il ne se falloit pas tant soucier si l’on les emportoit. Toutefois, Raymond poursuivit les sbires jusques à la rue, et, comme il les vit éloignés, il ferma toutes les deux portes, afin d’être en assurance. Il s’en retournoit alors à sa chambre, lorsqu’il vit passer un homme au travers de la cour, qui couroit d’un côté et d’autre, comme pour en chercher l’issue. Il faisoit déjà assez obscur, mais il connut bien pourtant qu’il n’étoit pas du logis et que c’étoit un des satellites qui s’étoit égaré. Il l’alla prendre au collet et le mena dedans sa chambre. Cet Italien, se voyant pris, ne faisoit autre chose que le prier qu’il le laissât sortir, d’autant qu’il n’étoit point venu là pour y faire du mal. Et vous autres, sergens, êtes-vous capables de faire du bien ? dit Raymond ; n’êtes-vous pas de cette troupe qui vient de sortir ? Il ne lui put nier cela ; tellement que Raymond lui dit qu’il payeroit pour les autres et que, tant que Francion seroit prisonnier, il le seroit aussi ; qu’encore n’en seroit-il pas quitte à si bon marché, parce qu’il le feroit mourir cruellement, s’il ne lui déclaroit les auteurs des fourbes que l’on avoit jouées à son ami, et qui c’étoit qui les avoit employés dedans cette affaire. Raymond voyoit, à la physionomie de ce personnage, qu’il avoit en l’âme je ne sçais quoi de traître et de méchant ; de sorte qu’il avoit un cer-