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faire tant d’or qu’il vouloit par sa poudre de perfection. Cet homme ci ne voudroit-il point aussi nous faire croire qu’il a trouvé le même secret, pour autoriser ses magnificences ? Mais qu’il en fasse ce qu’il voudra, si est-ce qu’il ne dira rien de bon pour lui ; car l’on a fait mourir Bragadin en Allemagne comme un sorcier et un imposteur. Tellement que de se dire semblable à lui, c’est demander un même supplice. Quoi qu’il en soit, nous voyons que les François qui sont dans cette ville ne doivent point être pris pour témoins de sa prudhommie, parce qu’il y en a la plupart qui y sont intéressés et qui reçoivent de lui des courtoisies signalées. Il y a aussi beaucoup de choses à considérer en ce que j’ai dit ; car premièrement l’on voit que, pour prêter et donner de l’argent à tant de monde et faire une dépense telle que la sienne, qui suffiroit à un prince, il faut de nécessité qu’il se mêle d’un très-mauvais métier qui lui donne moyen d’y fournir. L’on remarque aussi les tromperies qu’il fait aux uns et aux autres, et le dommage notable qu’il apporte dans l’Italie, y donnant cours à quantité de pièces qui ne sont point de poids ou qui sont entièrement fausses. L’on pourroit bien aussi trouver quelque nouveau venu, qui seroit de sa nation et qui n’auroit point encore senti les effets de ses libéralités, qui diroit franchement s’il a ouï parler de lui en France, et si ce n’est pas un homme de fort basse étoffe, qui ne doit point vivre splendidement ; et puis nous verrons qu’il est fort aisé d’être libéral, comme il l’est, d’une mauvaise marchandise. Il faudra aussi prendre quelqu’un de ses gens, et lui donner la question, pour tirer de lui le secret des affaires de son maître.

Le juge, qui écoutoit ceci, imposa alors silence à ce dénonciateur, et, le tirant à part, lui dit qu’il avoit tort de découvrir si manifestement les procédures de la justice. Il fit bien de lui commander de se taire, car il avoit un si grand flux de paroles, qu’il disoit tout ce qu’il sçavoit et ce qu’il ne sçavoit pas ; et l’on ne put empêcher qu’il n’ajoutât encore beaucoup de calomnies contre Francion, qui étoient fort éloignées de la vérité, car il attribuoit à lui seul tout ce qu’il avoit jamais ouï conter de tous les charlatans et les imposteurs que l’on avoit vus en Italie. Francion, qui voyoit que tout cela n’avoit aucune apparence et que cet homme en parloit avec une passion affectée, qui lui faisoit faire des pos-