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Nays avoit assez bonne opinion de ces dames, qui sont tenues pour fort honnêtes ; et pourtant elle ne se pouvoit imaginer d’abord qu’elles fussent fort véritables ; mais enfin Émilie montra les lettres que vous lui avez écrites, ce qui lui fit connoître qu’en effet vous aviez pour elle une extrême passion. Lucinde lui dit même que vous aviez vu sa fille à son desçu, et que vous aviez alors promis de l’épouser. C’est ce qui a merveilleusement étonné Nays, et l’a davantage irritée qu’elle ne fait paroître ; car elle est femme de courage et qui souffre impatiemment un affront. Émilie ne parla pas beaucoup, parce qu’elle ne fit que pleurer autant sa faute comme la vôtre, étant au désespoir d’avoir obligé un ingrat ; mais sa mère parla pour elle et raconta le bon accueil qu’elle vous a toujours fait, sur l’espérance de vous avoir pour gendre ; oubliant même les coutumes de ce pays-ci où les hommes ne sont pas si bien reçus chez les dames comme au vôtre. Nays fut contente des témoignages qu’elle avoit vus : elle dit promptement à Lucinde qu’elle l’assuroit qu’elle n’empêcheroit point que vous ne retournassiez devers Émilie ; et qu’ayant reconnu vos infidélités elle n’avoit garde de faire jamais état de vous et ne vous vouloit pas voir seulement. Lucinde et Émilie s’en allèrent avec cette assurance, et Nays, les reconduisant, les remercia encore du plaisir qu’elles lui avoient fait de l’être venues tirer de la peine où elle s’alloit mettre si elle eût épousé un perfide comme vous. Je crois qu’après elle passa fort mal la nuit ; car le jour n’a pas été sitôt venu, que ses inquiétudes lui ont fait désirer de me voir pour m’apprendre ce qui étoit arrivé. Je n’ai pas pu aller sitôt chez elle, parce que j’étois arrêté à une affaire d’importance. Enfin, comme j’ai été la trouver, elle m’a conté ceci avec des transports et des colères merveilleuses, et m’a dit aussi que vous ne veniez que de sortir, ayant eu dessein de la voir ; mais qu’elle se croiroit coupable d’un grand crime, si elle permettoit que vous eussiez aucune entrée chez elle. Quand elle parle de vous, ce n’est qu’avec ces mots de traître, de perfide, d’ingrat et de monstre, étant réduite à ce point qu’elle veut casser tout ce qui a été fait avec vous. Pour moi je ne sçais que dire là-dessus. Elle s’en prend à moi, disant que je suis cause de son malheur, et que j’ai fait en sorte qu’elle en est venue si avant, lui ayant dit de vous plus de bien qu’il n’y en a. Il faut