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parce qu’il étoit fort discret et ne vouloit point ouïr ce que ses amis ne désiroient pas de lui communiquer, il se tint toujours à l’écart. D’abord Bergamin demanda à Francion, s’il y avoit longtemps qu’il n’avoit vu la belle Émilie, qui étoit une Italienne, qu’il avoit connue depuis qu’il étoit à Rome ; mais Francion, faisant le froid, lui demanda s’il ne sçavoit pas ce que toute la ville sçavoit, qui étoit qu’il alloit épouser Nays ; et que, lui ayant même promis le mariage par contrat, il ne pouvoit plus songer à visiter d’autres dames. Je crois bien que ce que vous avez promis à Nays est tout public, dit Bergamin, mais pourtant cela n’est pas plus fort que ce que vous avez promis à Émilie, encore que ne fût pas devant tant de témoins ; car les premières promesses nous obligent et nous rendent incapables d’en faire d’autres. Vous m’étonnez de parler de la sorte, dit Francion. Vous m’étonnez encore davantage de feindre d’avoir de l’étonnement, repartit Bergamin. Je ne suis lié en aucune façon avec Émilie, dit Francion. Elle le prétend néanmoins, dit Bergamin, si bien que vous ne pouvez pas vous marier avec Nays comme vous pensez.

Bergamin disoit tout ceci avec la mine la plus sévère qu’il lui étoit possible ; mais toutefois Francion s’alla imaginer que c’étoit une feinte, et qu’il lui vouloit jouer un tour de son métier, de sorte que tant plus il en parloit, tant plus il demeuroit dans cette croyance. Je vois bien, dit Francion, que vous me voulez faire un tour de gausserie ; mais à qui vous jouez-vous ? C’est moi qui en ai fait leçon aux autres. Vous croyez, possible, que je n’en sçais pas tant que vous ; mais au moins j’en sçais assez pour me garder de vos artifices. Il faut que mon cher Raymond participe à ce contentement.

Là-dessus il appela Raymond, qui fut bien aise d’aller devers eux ; car il étoit en peine de ce qu’ils pouvoient dire, leur voyant avoir une façon extraordinaire. Quand il se fut approché, Francion lui dit que Bergamin étoit le plus agréable personnage du monde, et qu’il lui vouloit faire accroire qu’il avoit promis le mariage à Émilie. Raymond, qui avoit un peu ouï parler de cette dame, se sourit à ce discours ; mais Bergamin, redoublant ses assurances, lui parla de cette sorte : Je suis bien aise que vous appeliez ici un témoin, car vous verrez tous deux ensemble comme je ne dis rien qui ne soit très à propos et très-croyable. Vous