Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/424

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elles étoient le vrai séjour de l’âme du cavalier et si elle y habitoit autant, voire davantage, que dans le corps. Aussi, à dire la vérité, c’est là que nous devons avoir l’esprit pour manier le cheval à tous propos, et bien souvent nous en tenons le salut de notre vie. On me dira qu’un baron, ayant trouvé aux champs une bergère qu’il aimoit, donna son cheval à garder à son laquais, et la mena en un lieu écarté, où il voulut cueillir la rose, mais que la fille, l’ayant prié de permettre qu’elle le débottât avant que de jouir d’elle, de peur qu’il ne gâtât sa cotte et ses chausses, elle ne lui tira les bottes qu’à demi et s’enfuit, le laissant là si empêtré, qu’au premier pas qu’il voulut faire pour la poursuivre il se laissa tomber entre des épines qui lui déchirèrent tout le visage. Voilà un grand accident ; mais il ne le faut imputer qu’à sa sottise de s’être laissé tromper : les bottes n’en sont point plus méprisables. C’est avec elles qu’on court le bénéfice, qu’on va trafiquer et qu’on va voir sa maîtresse. C’est une nécessité aux braves hommes d’en porter, s’ils veulent paroître ce qu’ils sont, et à beaucoup d’autres s’ils veulent paroître ce qu’ils ne sont pas. Si l’on est vêtu de noir, l’on vous prend pour un bourgeois ; si l’on est vêtu de couleur, l’on vous prend pour un joueur de violon ou pour un bateleur, spécialement si l’on a un bas de soie de couleur différente ; mais arrière ces opinions quand l’on a des bottes, qui enrichissent toute sorte de vêtemens ! Que personne ne me blâme donc plus d’être botté, s’il ne veut paroître un esprit hétéroclite.

Voilà en substance l’oraison démonstrative qu’Hortensius fit pour les bottes, et je voudrois me pouvoir souvenir des passages latins qu’il y entremêla. Nous feignîmes que nous trouvions tout cela fort excellent, et, la première fois que l’Écluse le vit, il lui présenta ces vers, qui étoient sur ce sujet :

Les bottes sont en tel crédit,
Depuis qu’Hortense nous a dit
Combien leur chaussure est commode,
Que les plus mignons de nos dieux
En veulent porter à la mode,
Pour montrer comme ils sont gentilshommes des cieux.
Le Destin se meurt de souci
D’en avoir de peau de Roussy[1] ;
  1. Russie.