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que l’on eût tiré Francion de l’état où il étoit : il n’auroit pas accompli de si belles choses ; elles sont si rares, que je m’assure qu’il quitteroit toujours librement la grandeur et l’ambition pour en faire de semblables. Que vous lui eussiez fait de tort en le pensant secourir ! Vous avez raison, reprit Francion, et je ne voudrois pas avoir vécu autrement que j’ai fait. Néanmoins je vous dirai, à le bien prendre, ce ne sont que des friponneries. Oui, ce dit Raymond, mais vos friponneries valent mieux ordinairement que les plus séreuses occupations de ceux qui gouvernent les peuples. S’ils se trouvoient en de pareils accidens qu’ont été les vôtres, ils seroient fort empêchés de les supporter avec autant de constance, et de se réjouir, comme vous, dedans le mal même que la fortune envoie. Quittons tous ces discours, dit Francion ; ce n’est point à moi qu’il faut donner des louanges. Nous sommes en un pays où il n’y a que la belle Nays qui en mérite. Eh bien, Dorini, n’en avez-vous point eu de nouvelles ? Elle est en cette ville assurément, dit Dorini, l’on me l’a appris : je l’irai voir tout à cette heure pour l’amour de vous. Dorini joignit les effets aux paroles, et s’en alla dès lors saluer sa parente, qui avoit une maison à Rome, où elle étoit bien plus souvent qu’en ses seigneuries. Après que les complimens furent achevés, il lui parla de Floriandre, et lui demanda si elle n’avoit pas reçu, les nouvelles de sa mort. Comme elle eut répondu qu’oui, il lui demanda si elle n’avoit point vu celui qu’il lui avoit envoyé en échange, qui n’avoit pas moins de mérite. Elle lui dit qu’elle sçavoit bien de qui il entendoit parler, mais que c’étoit un homme très-inconstant et très-ingrat, vu qu’après avoir été le mieux du monde auprès d’elle il l’avoit laissée sans lui dire adieu, et lui avoit envoyé une lettre fort peu courtoise. Dorini voulut voir cette lettre, et, l’ayant considérée, lui dit : Voilà qui ne vint jamais de Francion ; car, outre qu’il est trop honnête homme pour avoir écrit ceci, je sçais bien que cela n’est pas de sa main : j’ai dans ma poche des vers qui sont de son écriture, vous verrez si elle est semblable. Mais tout ceci n’est rien ; d’où est-ce qu’il vous auroit écrit ? C’est ici une tromperie de ses rivaux, qui sont jaloux et vindicatifs. Vous croyez qu’il vous ait quittée, et c’est que ces méchans l’on fait retenir prisonnier. Il a été réduit, à cause de vous, en une misère extrême, et il a fallu qu’il se soit mis