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la place toute sa marchandise dans une layette par un petit garçon. Il eût bien voulu trouver une guitare pour réjouir ses auditeurs et contrefaire mieux le charlatan ; mais, n’y en ayant point au village, il les entretint avec des discours qui valoient bien une musique : il ne leur parla point des cocus, qui devoient être métamorphosés en chiens ; si bien que ceux qui en avoient ouï le bruit tournèrent cela en raillerie. La harangue qu’il vouloit faire sur l’utilité de ses remèdes étoit à peine commencée, qu’il arriva un homme à cheval en ce lieu-là, qui, l’ayant écouté quelque temps, en le regardant avec attention, descendit à terre, et fendant la presse s’en vint lui accoler la cuisse, et lui dit : Ah ! mon maître, en quel équipage êtes-vous ici ? Que je suis aise de vous avoir retrouvé ! Francion avoit bien reconnu dès le commencement que c’était son valet de chambre, mais il ne vouloit pas encore parler à lui, et, l’ayant salué avec fort peu de cérémonie, il lui dit seulement : Retirez-vous, nous deviserons tantôt ensemble ; laissez-moi achever de contenter ces bonnes gens. Aussitôt il se remit à parler de ses drogues et à en distribuer à ceux qui en désiroient. Les uns en demandoient pour un sol, les autres pour deux. Il en prenoit ce qu’il falloit avec un couteau et le mettoit sur un papier ; et pour leur faire trouver bon, il en prenoit toujours après quelque petit morceau avec la pointe, qu’il donnoit par-dessus. Çà, disoit-il, vous êtes bon drôle, vous aurez ce petit lèchefrion, et encore celui ci, et encore celui-là, et encore celui que voilà ; c’est du plus excellent, c’est du fond de la boîte ; le meilleur est toujours là ; demandez-le à votre femme. Il avoit beaucoup d’autres termes que les charlatans ont pour engeoler le marchand ; et le tout avec des gestes qui donnoient beaucoup de grâce à son discours ; tellement que Pétrone, qui étoit son valet, ne fut jamais si étonné. Ayant vu comme il l’avoit repoussé, il ne sçavoit s’il devoit croire que ce fût là son maître ; mais enfin, tout l’onguent étant vendu, il quitta la compagnie, et le vint trouver avec des témoignages d’une joie nonpareille. L’assemblée des paysans se dissipant alors, ils s’en allèrent reposer à l’hôtellerie. Francion demanda à Pétrone, auparavant toutes choses, où étoit le reste de ses gens : il lui répondit que, depuis sa perte, ils s’en étoient tous allés chercher leur fortune, croyant qu’il fût mort ; que, pour lui, il n’avoit cessé de le chercher, tant en France qu’en Italie, et que,